Révolte de 1831: « Je ne conçois rien à tout ce qui se passe »

Contemporain de la révolte des canuts, le juge Matthieu Durand exprime son désarroi face à la tournure prise par les événements.

Monsieur Durand Juge honoraire
dans ce moment à sa campagne
A Couson
(Rhône)
Jujurieux le 26 novembre 1831

Mon cher ami

Je ne conçois rien à tout ce qui se passe. Trois jours de combats à outrance! Combien de morts, combien de blessés, que de veuves, que de malheureux orphelins! et cela pourquoy? Dieu le scait. L’ouvrier mouroit de faim, et je le vois encore plus enfoncé dans la misère; il a coupé l’arbre croyant avoir le fruit, et il a seulement coupé l’arbre. Nous sommes heureux qu’aucun des nôtres n’aye péri dans la bagarre. Marc Chandelux étoit le seul de notre connoissance, dont sa soeur Madame Laporte étoit inquiète, ayant scu qu’il devoit quitter vers les minuit la maison où il mange, malgré la maîtresse de la maison. Mais Chandelux ayant pris un fusil dans cette maison, lorsqu’il a entendu battre la générale il est sorti armé malgré toutes les observations disant qu’il était son maître. Depuis lors on [n’] avoit point eu de nouvelles du jeune homme, mais il a lui-même écrit qu’il avoit rejoint la troupe de ligne à Rilleux.
Je croirois volontiers que les ouvriers ont été poussés à l’insurrection, et ont été la dupe de ceux qui les ont excités, de ceux qui voyant que la misère seule les avoit armés, sans pouvoir leur insinuer aucune autre cause d’insurrection, les ont abandonnés, car enfin, ils ne demandaient que du pain, leur devise le disoit assez clairement.

Je ne puis prévoir de quelle manière tout cela se terminera, Dieu veuille que l’on ne fasse pas encore des bêtises. Que de refflections il y a à faire sur tous ces événements, mais ce n’est pas le moment.
Donne moi de tes nouvelles, de celles de ta bonne et aimable Fanie et de ses sœurs, donne m’en aussi de nos enfants. Quant à nous, Gabriel porteur de la, présente, Gabriel qui mardi a fait le voyage de Lyon pour yous voir et voir sa mère, n’a pu s’empêcher de partir pour Couson où vous êtes tous réunis, vous en donnera..

Adieu mon frère, embrasse pour nous les tiens et les miens, nous tous vous embrassons tous. Ton frère aimé.

Durand

Gabriel est bien heureux de pouvoir aller, je viendrois bien pouvoir faire comme lui. Que de plaisir on éprouve à se revoir après la tempête.

Lettre de Mathieu Durand, juge de paix, à son frère, Papiers Olphe-Galliard.

Orthographe respectée.

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