Les pauvres Bonnet sont véritablement cruellement atteints. M. Bonnet est encore en Angleterre, où l’on profite joliment de toutes nos discordes civiles. Le pauvre M. Cottin avait écrit à M. Moinat de ne pas envoyer les métiers, mais que plus tard il enverrait les charrettes et les chevaux de la maison qui les ramèneraient sans frais, et sans tambours ni trompettes. M. Moinat nonobstant, les a fait partir par un voiturier étranger au pays mais des environs d’Ambérieux je crois, ce brave homme à ce que l’on croît est allé avertir de ce qu’il emmenait et tu sais tout ce qui en est résulté. Le pauvre M. Cottin dont ce n’est cependant pas la faute, en a eu un ennui mortel, il a écrit aux voraces, qu’ils envoient des députés pour voir ce que c’est que cette fabrique. Ils sont donc venus. M. Cottin avait envoyé une voiture découverte les prendre à Saint-Jean-le-Vieux. [Ta tante] Nina était venue nous attendre et nous n’arrivâmes pas. Il pleuvait, elle eut grande envie d’offrir à trois de ces Messieurs qui venaient chez M. Bonnet les trois places de la voiture qui étaient restées vides où ils auraient été garantis de la pluie. Elle hésita et n’osa pas, elle ne savait qui ils étaient. C’est dommage qu’elle n’ait pas suivi sa première pensée, je serais curieuse de savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils auraient dit. Enfin, ils ont passé un jour. M. Cottin les fit souper; ils n’osaient pas se coucher, de peur qu’on leur fasse quelque mauvaise chose. M. Cottin fut obligé de les rassurer. Ils se couchent, ils ne dorment point, ayant toujours l’oreille au guet. Enfin, le matin, de bonne heure, mes gens sont sur pied, on leur fait visiter le fabrique, ils voient que c’est une filature plutôt qu’un tissage, quelques métiers seulement où MM. Bonnet font faire leurs échantillons, leurs perfectionnements, leurs essais. Ils croyaient que M. Bonnet avait 2000 métiers au moins, ils n’en revenaient pas. A Lyon, ils ont rendu compte de leur mision à leurs clubs, à leur société. On a été convaincu que M. Cottin avait acheté leur silence. On les a sifflés et bafoués : le monde ne sont pas raisonnable…
Jujurieux 22 mai 1848.
Lettre de Louise Durand à sa fille, Papiers Olphe-Galliard