Ma mie, nous sommes donc allés chez M. Cottin dimanche, invités pour 5 heures. Nous partîmes à 5 heures moins cinq et nous arrivâmes juste après Mme Duchamp, qui était là pour aider M. Cottin à recevoir. Bientôt tout le monde est arrivé : les Lacroix, les Héloïse [Bonnet], les Jacques Bonnet d’Ambérieu, la jeune Mme Laprade avec sa mère, sa soeur mais sans son mari, les Framinet ; de Champollon, Isidore et Hyacinthe [Gilardin] ; … Valérie [Alby née Framinet] se porte très bien, elle est fraîche, engraissée mais hélas prise par les genoux autant que par le passé.
Toutes ces dames fort entendues dans leur toilette. Mme Adrien Framinet, quoique laide, était fort bien, j’ai un peu causé avec elle, elle est extrêmement agréable. Je sens qu’elle a une sympathie pour toi…. Il y avait encore toutes les dames Payen, qui n’ont paru que tard… Angèle [Richard] avait paru et disparu plusieurs fois, enfin cette famille est arrivée, il était je crois 6 heures 1/2. On a bientôt averti pour le dîner. Mme Jules Bonnet était fort bien, avait tous ses diamants (ce n’est pas le Pérou).
On a traversé ce joli vestibule, cette belle salle à manger où était dressée une table de 20 ou 30 couverts, on a descendu six ou sept marches et l’on s’est trouvé dans la serre toute tapissée par une immense vigne vierge de toutes nuances: rouge, brun, rose, vert clair, vert foncé. Beaucoup de lumières sur une grande table de 42 couverts et ornée de trois grands plateaux de fleurs, une longue truite, un immense jambon, deux énormes pâtés de volaille, et tout le tour des assiettes de bonbons se touchant toutes et six compotiers de superbes poires, pommes, pêches et raisins, et dans le milieu de la table deux hautes pyramides, l’une de choux à la crème, l’autre en croquants d’amandes et quatre gelées aux fruits confits. Le dîner se composait de volailles bouillies, civet, quenelles, filets, petits pois, la truite, les jambons, les pâtés, perdrix rôties, quartier de chevreuil, aspic de volailles, les douceurs et le dessert.
A la fin du dîner, M. Cottin a porté un toast à M. Payen, à Mme Payen, à sa jeune belle-fille. On a applaudi, on a bu. M. Cottin s’est relevé et dit qu’il ne pouvait oublier sa bonne femme et à ce propos a dit des choses si touchantes que je n’ai pu retenir une larme qui est tombée sur ma robe et m’a mangé la couleur, ce qui m’ennuie bien car c’était une belle robe et qui devait me parer jusqu’à la fin de mes jours.
M. Cottin a parlé aussi de M. Bonnet que la suite d’une indisposition avait empêché de venir. Ton père a eu envie de parler. Il y avait beaucoup de choses à dire, mais il a hésité, le moment a passé et l’à-propos aussi. On a passé au salon, on a causé, on a tiré quelques pièces d’artifice. Quelques unes de ces dames sont sorties enveloppées de leur pointes de dentelle. Il faisait un vent enragé. On est rentré, on a prié Valérie de jouer. Elle a joué avec sa belle-soeur un fort beau morceau, elle faisait la basse. Puis elle a joué seule un morceau sur les airs de la pie voleuse. Elle joue admirablement comme Chopin, comme Thalberg, mieux que Mme Guitton. Puis on a dansé. Puis les jeunes Cottin sont rentrés, vêtus de costumes achetés dans les pays où ils se portent : Cyrille en écossais, il était fort beau, le jeune homme et le costume ; Paul en muletier basque, seulement le pantalon, la veste, le bérêt étaient de velours noir, ce que je ne suppose pas à tous les muletiers de ce pays-là. La ceinture rouge, le fouet à manche rouge était porté en sautoir. Il y avait un costume d’arabe et un autre, je ne me rappelle plus. Puis quatre dames ont pris quatre costumes d’Ecosse et d’Espagne. Ils ont dansé comme cela. A 10 heures et 1/2, les Framinet, les Jacques B[onnet] et nous sommes partis. Mme Jules [Bonnet] était un peu malade, le lendemain, elle était dans son lit.
Jujurieux, 24 septembre 1863
Lettre de Mme Durand à sa fille, Papiers Olphe-Galliard