Jeunesse bourgeoise à Jujurieux en 1815

Le jeune Henry Durand, 19 ans, déplore que les "attentions" et "assiduités" n'aient pas le même effet sur les jolies jeunes filles que les "grâces du corps" de son cousin Zacharie.

En arrivant à Jujurieux, j’ai été accablé de reproches par les demoiselles du pays qui toutes se sont plaintes de ce que je revenais seul1. […] Il a fallu essuyer les plus vifs reproches, la belle Julie2 est allée jusqu’à me faire entendre qu’elle soupçonnait de la jalousie dans ma conduite, que je voyais avec peine à Jujurieux un beau jeune homme qui réunissait les agréments de l’esprit à toutes les grâces du corps.

Dessin représentant Henry Durand dans la première moitié du siècle.
Henry Durand dans la première moitié du siècle. Dessin de Goudon


C’est fort bien, mon ami, tu te montres dans un pays et tous les cœurs volent après toi: reproches à un autre de faire le gentil ! Il t’est bien facile à toi de te passer de cela. Quand pour plaire on n’a besoin que de se montrer, de racler quelques airs sur un mauvais violon, on devrait pardonner à ceux qui n’ont pas le même bonheur, de vouloir se faire remarquer des dames par leurs attentions et leurs assiduités. Des personnes aimant à gloser sur toutes choses pourront dire que sans doute la conquête des demoiselles du Buget est bien facile, ou qu’un esprit d’inconstance les entraîne vers la nouveauté: point du tout Jujurieux n’est pas un pays de loups… On y voit des figures étrangères, quelquefois d’assez remarquables, mais jamais je ne me suis aperçu qu’aucune ait produit un pareil effet.
Pour en finir je n’ai pu obtenir ma grâce qu’en les assurant que tu viendrais passer à Jujurieux le temps des vendanges.

Tu connais l’esprit d’indifférence et de gaieté qui règne ici. Il a été un peu troublé hier, la nouvelle du manifeste des puissances3, la peinture de la tristesse qui règne dans Lyon a fait réfléchir pendant une demie heure au moins: ensuite on a pensé que tous nos maux se terminaient à la mort, que par conséquent ils seraient bientôt finis. Quelques réflexions philosophiques à ce sujet, d’où l’on a conclu qu’il fallait profiter du temps présent et ne pas penser aux maux à venir. Tous les fronts se sont déridés et la gaieté a reparu.

Jujurieux le 24 mars 1815.

Lettre d’Henry Durand à son cousin Zacharie Durand à Lyon, Papiers Olphe-Galliard.

  1. Sans son cousin venu à Jujurieux, mais que son père avait rappelé à Lyon. ↩︎
  2. Julie Savarin, 16 ans, fille du notaire de Jujurieux. ↩︎
  3. Le 13 mars, à la nouvelle du débarquement de Napoléon qui s’était échappé de lle d’Ebe, les grandes puissances avaient déclaré Napoléon Bonaparte hors les relations civiles et sociales, livré à la vindicte publique, comme ennemi et perturbateur de la paix du monde. C’était la guerre en perspective. Napoléon était arrivé à Paris le 20 mars, on ne le savait peut-être pas encore à Jujurieux, lorsque cette lettre fut écrite. ↩︎

Le voyage des Voraces raconté par Louise Durand

Les Voraces, société ouvrière formée à la Croix-Rousse et constituée de canuts lyonnais, organisa une expédition à Jujurieux, les 17 et 18 mai 1848 à l’invitation du directeur Joseph Cottin. Leur objectif était de prouver que l’usine exerçait une concurrence

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