La chute de Robespierre racontée par le frère de Claude-Joseph

Antoine Bonnet, élève à l'Ecole de Mars à Paris en 1793 assiste d'assez près au coup d'Etat du 9 thermidor. Il relate dans une lettre à son père comment il a été mis au courant des événements.

Du camp de la plaine des Sablons1 le 10 thermidor l’an deux de la république une et indivisible.
Mon cher papa,
De grands complots se tramaient depuis quelque temps dans Paris. Ils ont éclaté hier au soir. Cette nuit à une heure, deux nouveaux représentants envoyés par la Convention pour remplacer Lebas se sont transportés au milieu de nous. En un instant tous les élèves ont été rassemblés sans bruit. Bentabole et Le Prieur (c’est le nom des députés) ont parlé longtemps l’un après l’autre :
Vous allez être étonnés, nous ont-ils dit, lorsque vous apprendrez que des scélérats et des conspirateurs voulaient égorger la Convention. C’est la Commune de Paris qui a levé l’étendard de la rébellion. Elle a défendu par un arrêté de reconnoître les décrets de la Convention. Cinq représentants sont arrêtés, les deux Robespierre, Saint-Just, Couthon et Lebas (ce dernier était représentant près l’école de Mars). Tout l’état major de la garde nationale de Paris était du complot. La trame s’étendait jusque dans votre camp. La Bretèche, votre général, voulait vous trahir et vous faire égorger. Mais dans ce moment-ci, il est fermé, et va subir avec les autres conjurés la peine due à ses forfaits ».

Ce discours n’était pas encore fini que l’air a retenti des cris mille fois répétés de vive la convention, et périssent les tyrans, les ambitieux et les aristocrates. Les représentants charmés des sentiments dans lesquels ils nous ont trouvés, ont promis que dès le grand matin nous serions armés. Alors chacun s’est retiré en ordre dans sa tente pour dormir jusqu’à quatre heures. Aussitôt, la distribution des fusils a eu lieu et de suite on est allé à Paris défiler dans la salle de la Convention. Un des élèves y a prononcé un petit discours pour témoigner aux représentants notre dévouement et notre amour pour la liberté. La mention honorable, l’insertion au bulletin et l’envoi du discours aux parents ont été décrétés. De grands applaudissements se sont fait entendre jusqu’à ce que l’école de Mars fût entièrement sortie. Alors on a fait distribuer des rafraîchissements avec tranquilité. Bientôt les tambours ont annoncé le départ et la marche s’est ouverte au son d’une musique guerrière. Les gazettes vous donneront de plus grands détails.

Vue du camp de l'Ecole de Mars à la Plaine des Sablons
Vue du camp de l’Ecole de Mars à la Plaine des Sablons – Gallica

On commence à nous habiller. Le costume est très extraordinaire, il est à la mode des anciens romains. Il est impossible de vous le peindre. Vous serez surpris lorsque vous me verrez arriver sous cet habillement. La maison destinée au génie touche bientôt à sa fin. J’attends tous les jours des lettres de ma maman et de mes frères. Je vous embrasse de tout mon coeur ainsi qu’eux et mes soeurs. J’espère que Cadet m’enverra des nouvelles de ce qui se passe dans le pays, de nos vignerons et de César Tiller. Bien des compliments à tous les voisins et à tous les sans culottes. Adieu salut et tendresse
votre fils
Antoine Bonnet

J’ai changé de tente, je suis maintenant à la 1ère millerie 3ème centurie 3ème décurie.

Au citoyen Bonnet, maire de la commune de Jujurieux, district de Montferme, ci devant St Rambert, dept.de l’Ain, à Jujurieux par Vieux d’oiselon2, ci devant St Jean le vieux.

Papiers Cossieu

  1. L’Ecole de Mars était établie sur un campement dans la plaine des Sablons. Voir la page Wikipedia ↩︎
  2. Nom de Saint-Jean-le-Vieux pendant la Révolution. ↩︎

Bonus par thème