Cette conversion de M. Ward est fort extraordinaire. Personne ne lui en avait parlé, mais au commencement de la Mission, un jour, il suivit quelques-uns de la fabrique qui allaient entendre le père je ne sais plus qui, il entend ce sermon et il en est bien mécontent. Chose étonnante, il a grande confiance dans la Sainte Vierge, il quitte le gros de l’église, va à la chapelle de la Ste Vierge et lui fait cette prière, Vierge sainte, éclairez-moi : dois-je rester protestant ou embrasser la foi catholique, pas plus long que cela et il se retire. Le lendemain, ayant quitté son atelier un moment pour voir je ne sais quoi à la fabrique, pendant qu’il y était, une jeune fille, un crucifix à la main, lui barre le passage, se jette à ses genoux, lui demande de lui promettre ce qu’elle va lui demander, et enfin lui demande de se faire catholique. Elle le supplie, elle le presse, lui assigne le 13 avril comme dernier jour de grâce, jour de son abjuration, plus tard il ne sera plus temps. Tout cela fut fort long, se passait là, au milieu de toutes les filles de la fabrique et personne ne s’en est aperçu, et cette fille l’a poursuivi, lui a parlé chaque jour jusqu’à ce qu’enfin, ce pauvre homme, luttant, tourmenté, lui a promis. Il faut te dire qu’après le premier entretien avec cette fille, il s’est établi en lui un combat qui l’a fait très souffrir, il ne dormait plus, tous les jours, à 2 heures du matin, il était éveillé et puis agité par ses pensées. Au bout de quarante jours de lutte, son parti a été pris et étant décidé, il l’a écrit à M. Bonnet, il l’a dit à sa femme et à son fils, priant ce dernier de faire les démarches. Enfin samedi, Monseigneur étant arrivé le soir à 7 heures, il vint en habits pontificaux, M. Ward amené par son parrain, M. Bonnet, M. de Maupetit sa marraine, fut présenté à l’église sous le porche. Mgr le tint longtemps debout et lut mainte oraison. Je voyais ce pauvre homme tout ému, paré en linge bien blanc, gilet bleu, habit fin et noir. Il s’agenouilla et enfin reçut l’eau sainte. Mgr l’emmena à l’autel, là, nouvelle prière et puis tout fut fini, il était catholique. On éteignit les cierges, la foule s’écoula, son fils le prit par la main et tous deux allèrent s’agenouiller à l’autel de la Sainte Vierge, ils prièrent et puis s’en allèrent. M. Bonnet attendait son filleul, il le prit sous le porche de l’église et le raccompagna chez lui. Le lendemain à 6 heures, il communiait et recevait la confirmation des mains de Mgr à la chapelle de M. Bonnet qui a tenu à ce que ce grand acte se fit à sa chapelle.
Ce pauvre homme, l’avant-veille, disait à ton papa, avec un fort accent britannique : Ah Monsieur, recevoir son Dieu, quel grand sacrement, mais s’il m’arrivait jamais de me présenter à la table sainte et de n’avoir pas toutes les dispositions, qu’il m’en manquât une seule, je le dis à Dieu de tout mon cœur, j’ aimerais mieux mourir a l’instant. Le lendemain, je le voyais dans son atelier en blouse travaillant le fer, distribuant l’ouvrage à ses ouvriers. Son fils nous dit qu’il est très content, qu’il est heureux, on le trouve changé, sa grande lutte l’a fort éprouvé, il redoutait beaucoup la confession, après il s’est trouvé tout heureux, plus libre de pensées, il trouve qu’avant il était emmailloté, on a brisé ses langes…
Jujurieux, 18 avril 1856.
Lettre de Mme Henry Durand à sa fille, Papiers Olphe-Galliard