Bonne Maman nous a transmis hier une invitation qui lui avait été faite pendant notre absence de la part de Mme Gilardin pour aller passer la soirée à Champollon lundi avec le Maréchal Canrobert et son épouse ; par suite de notre deuil nous avons refusé, ce sera une soirée cérémonieuse et belle de toilette dont j’insérerai ici les détails qui me seront donnés par Mary Alby.
Saint-Jean-le-Vieux, 17 octobre 1863.
A l’occasion du maréchal et de la maréchale, le Bugey a été en fête. Champollon a eu une soirée et M. Jules Bonnet un dîner suivi d’une soirée.
La maréchale a été trouvée jolie et excessivement distinguée, seulement on lui fait ici le même reproche qu’à Lyon, c’est d’être un peu fière ; à mesure qu’on entrait dans le salon, on était présenté à elle par le maître de la maison et elle ne répondait à la profonde salutation qu’on lui faisait que par une inclinaison de la taille sans daigner se lever de son fauteuil ; partout elle s’est retirée de bonne heure car elle est un peu souffrante, à Champollon à minuit, chez M. Bonnet à 10 heures ; en se retirant elle allait saluer la maîtresse de maison mais ne rendait aucun autre salut, pas même aux personnes devant lesquelles elle passait.
Ses toilettes étaient très élégantes, à Champollon, elle était en robe de gaze de Chambéry blanche et bleue garnie de pyramides de taffetas bleu ruchées ; la robe était excessivement longue, sur ses épaules un châle d’Angleterre blanc la drapait entièrement, dans ses cheveux des fleurs bleues. Elle a, dit-on, demandé à M. Gilardin de faire danser, ce qui n’était pas dans ses projets, étant en deuil de sa mère, mais pour être agréable à la maréchale, il a écouté sa demande, elle a dansé 4 quadrilles, ses cavaliers étaient : les 2 messieurs Gilardin, M. Jules Bonnet et enfin Paul Cottin qui a eu auprès d’elle tous les succès possibles ; elle l’a désigné au milieu des messieurs comme un beau jeune homme et l’a presque demandé comme danseur. Le lendemain, chez Mme Bonnet, elle a eu une conversation en anglais avec lui car elle est écossaise et parle même, à ce qu’il paraît, assez mal le français, puis n’a dansé qu’un quadrille qu’elle a accordé à Paul Cottin.
Sa toilette chez Mme Bonnet était une toilette de dîner, une robe de taffetas bleue recouverte d’une seconde jupe posée en feston en taffetas havane claire, un immense châle de dentelle noire qu’elle n’a pas quitté et des fleurs naturelles dans ses cheveux.
Enfin le voyage de cette belle maréchale dans le Bugey fera époque dans le pays, elle a fait toute la semaine le sujet des conversations de tout le monde, en résumé elle est belle mais n’a pas plu généralement parce qu’elle est trop fière, est trop raide ; la conclusion est que la bienveillance et l’amabilité valent mieux que la beauté.
Saint-Jean-le-Vieux, vendredi 23 octobre 1863.
Journal de Gasparine Barrelier, 16 ans, 1863, Papiers Ducreux