Quoique l’on ne puisse pas encore dire que tout soit terminé ici, il est cependant certain que nous sommes hors de danger. A l’heure où je vous écris, il n’y a plus que la Croix-Rousse et Saint-Clair qui soient au pouvoir des insurgés. Vous voyez que je commence ma narration absolument comme si vous étiez instruits (ce que je suppose) des terribles moments que nous avons passé depuis mercredi à onze heures, époque où a commencé cette terrible guerre. Depuis ce moment, il y a eu bien du carnage dans toute l’étendue de la ville. Le nombre des morts a été très grand de part et d’autre. Il y a eu plusieurs maisons réduites en cendre par le feu, d’autres entièrement détruites à coups de boulets.
Le colonel du 28ème a été percé de trois balles et est mort presque sur le champ. Hier dimanche, la circulation dans les rues avait été rétablie, j’avais profité de ce moment pour aller m’informer des nouvelles de mon oncle et de sa famille. Je le trouvais chez lui, mon oncle Louis qui y restait continuellement était sorti, nous fumes avec mon oncle Joseph déjeuner chez Casati [2] et voir ce qui s’était passé, au moment où nous pensions rentrer, arrive un ordre qui interdit la circulation, nous sommes restés bloqués pendant cinq heures, tant dans une allée que chez une personne de la maison de la connaissance de mon oncle. Pour rentrer, nous n’avons pas eu d’autre moyen que de nous faire accompagner par un grenadier. J’ai suivi mon oncle jusque chez lui d’où je n’ai pu sortir que ce matin pour venir tirer d’embarras Mme Parrot [3].
Adieu, j’ai pensé bien souvent à l’inquiétude que vous deviez avoir, soyez persuadé que si j’avais pu vous tirer d’embarras plus tôt, je l’aurais fait, je ne sais pas même si le courrier pourra partir ce soir.
Il est sept heures, la fusillade se fait encore entendre à Saint-Clair…
Lyon 14 avril 1834.
Lettre de Jules Bonnet à son père à Jujurieux, Papiers Cossieu
[1] Près de l’église Saint Nizier.
[2] Le chocolatier de la rue du Bât-d’argent.
[3] Sa propriétaire, 4 quai Saint-Clair.