Polémique sur une pollution industrielle

En 1847, des habitants de Jujurieux qui se disent riverains de l'usine Bonnet adressent une pétition au préfet de l'Ain au sujet de nuisances qu'ils estiment dues à la fabrique. En voici le texte, ainsi que a réaction du maire adressée au préfet.

Pétition d’habitants de la commune de Jujurieux au sujet de l’usine Bonnet

Les soussignés habitants de la commune de Jujurieux, tous propriétaires et pères de famille, ayant connaissance que M. Bonnet négociant à Lyon, a l’intention d’adjoindre à la fabrique qu’il possède à Jujurieux une machine à vapeur à haute pression ;
ont l’honneur d’exposer à M. le Préfet, que depuis que M. Bonnet a placé à sa fabrique une machine à vapeur, ayant une cheminée colossale, lançant autour, à près d’un kilomètre une fumée épaisse mêlée de cendres et de résidus de charbon, ils ont reconnu :
1) que leurs récoltes et denrées ont perdu de leur valeur et de leur quantité.
 2) que l’eau du ruisseau de Chambafort, traversant le chemin au soir de la fabrique et servant à l’abreuvage des bestiaux est tellement altérée par les particules de suie qui étant jetées par la cheminée tombent dedans, et par la vapeur, que la plupart du temps, le bétail refuse d’en boire et que les laveuses éprouvent de fortes cuissons aux mains. De plus elles ne peuvent supporter l’odeur fétide qui s’exhale d’une fosse d’aisance qui se trouve environ à six mètres de là, au bâtiment de la fabrique.

Les soussignés ayant mainte et mainte fois fait ces observations à M. le Maire par un intérêt puissant de salubrité publique et d’intérêt particulier, et n’ayant rien pu obtenir, ils ont recours à vous M. le Préfet et demandent :
1) que l’eau dont il s ’agit soit vérifiée et comparée avec l’eau du même ruisseau avant qu’elle ait passé à côté de la fabrique.
2) qu’il soit avisé au moyen d’empêcher à la cheminée de couvrir les propriétés environnantes d’un résidu nuisible à la récolte.
3) que si l’on ne peut pas remédier à ces deux inconvénients, M. Bonnet donne au Village en dédommagement des préjudices que cause son établissement, des eaux propres et bonnes pour abreuver le bétail et qu’il les amène à ses frais dans l’intérieur du village. Il avait offert à cet effet 1000 f. mais les habitants refusent cette somme.
4) que la fosse d’aisance soit éloignée des lavoirs et abreuvoirs.
5) qu’enfin vérification consciencieuse soit faite des lieux et que justice soit rendue à qui de droit.

C’est dans ces intimes convictions, M. le Préfet, que les soussignés se disent
Vos très humbles serviteurs

Jujurieux 10 février 1843

Genin Claude, Jean Marie Thévenin, Orset Gaspard, Deveaux Henry, Pastor, Guillon François, Couturier, Genin Jean Marie, N. Alliod, Roch Tillé, Genin, Guillon, C.J. Thévenin,  Tillier Antoine, Tillier Charles, Sibuet, Gaspard Thévenin, Bonod, Genin, Perrin.

 On remarquera que la pétition parle de machine à vapeur pour ce qui était, en fait, une seconde chaudière, genre de confusion fréquente et que le maire  ne manqua pas de faire, lui aussi, dans une lettre un peu antérieure .

Lettre du maire de Jujurieux Jean-Joseph Bonnet au préfet à propos de la pétition

Jujurieux 25 février 1843

Monsieur le Préfet

Je m’empresse, Monsieur le Préfet, en répondant à votre lettre du 22 du courant, de vous donner les explications que vous me demandez sur la pétition qui vous a été adressée par quelques habitants de Jujurieux contre la fabrique de M. Bonnet.

D’abord, quant à la publicité donnée à l’enquête que vous avez ordonnée, je puis vous assurer que toute la publicité possible a été donnée à cette enquête ; elle a été annoncée au son du tambour, publiée par M. l’adjoint et affichée pendant deux dimanches consécutifs, le tout à l’issue de la Grand messe. Quant à l’observation que vous me faites sur ce que je ne vous aurai pas instruit des plaintes de ces quelques habitans, je puis vous dire aussi qu’aucune plainte ne m’a été portée et que dès lors, je ne pouvais vous en donner avis. En effet c’est la pétition qui m’a appris tout ce qu’elle vous a appris à vous même.

Maintenant, je vais vous donner mon avis comme vous me le demandez sur chacun des chefs de la demande ou de la plainte en question.

1)Les pétitionnaires commencent par se dire tous propriétaires et pères de famille et cependant, parmi les signataires, je trouve des jeunes gens ne possédant rien, des célibataires et des personnes n’ayant pour la plupart aucune propriété autour et dans les environs de la manufacture.

2)La suie et les cendres qui s’échappent de la cheminée de la fabrique nuisent à la valeur et à la quantité des récoltes. Les pétitionnaires qui ne possèdent rien autour de la fabrique ne peuvent le savoir ; mais M. Durand ancien juge de paix, M. Favre Gilly avocat, M. Maupetit et autres qui possèdent la presque totalité, avec M. Bonnet, des propriétés aux alentours de cet établissement et qui sont à même de l’apprécier vous diront que cela est complètement faux et que leurs récoltes n’ont jamais éprouvé d’altération. Les pétitionnaires se plaignent de l’élévation de la cheminée. C’est justement cette élévation qui doit faire qu’elle ne peut nuire, le simple bon sens l’indique.

3)L’eau du ruisseau de Chambafort est altérée. Ceci est encore une opinion erronée. Je vois tous les jours mon bétail et celui de mes voisins y boire comme auparavant. Je me suis informé auprès de plusieurs personnes de ces faits. Toutes, à l’exception d’une seule, m’ont assuré qu’elles ne se sont pas aperçu de ce dégoût du bétail ; une seule m’a dit que quelquefois son cheval avait refusé d’y boire ; au surplus           M. Bonnet s’est engagé par la délibération qui lui a concédé les eaux de couvrir ce petit ruisseau de dalles en pierre depuis la roue de sa manufacture jusqu’à l’endroit où l’eau traverse le chemin ; ainsi cet inconvénient, s’il existait réellement, serait entièrement annihilé par suite de ce travail qui serait fait depuis longtemps sans les tracasseries qu’il a éprouvé par le fait des mêmes plaignants.

Quant à l’article des laveuses qui éprouvent de fortes cuissons aux mains par suite de l’altération des eaux, ceci est de la plus insigne calomnie.

Les fosses d’aisance sont à plus de quinze mètres du ruisseau, en contrebas de ce ruisseau et établies de la manière la plus convenable pour éviter toute infiltration et mauvaise odeur.

Toutes ces plaintes ne sont qu’un calcul de la part de quelques uns des signataires qui ont pensé par ce moyen forcer M. Bonnet à leur donner de l’argent pour faire une fontaine dans leur quartier (fontaine qui coûterait une huitaine de mille francs attendu l’éloignement des eaux) ce qui résulte clairement de la conclusion de la pétition. Je pourrai vous dire encore beaucoup de choses (…) cette pétition n’est que le résultat de l’intrigue et de l’ignorance appuyé d’un faux calcul d’intérêt privé.

Recevez…                                                                            Le Maire de Jujurieux,   J.Jh Bonnet

Arch. Dép. Ain, 7 S 123, Fabrique de M. Bonnet à Jujurieux.

Récit du voyage des Voraces à Jujurieux

Les “Voraces”, membres d’un club de canuts lyonnais se rendirent à l’usine de Jujurieux en 1848 dans le but de dénoncer la concurrence déloyale que celle-ci exerçait selon eux sur les ouvriers lyonnais. Louise Durand relate leur visite.

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